Les populations de caribous forestiers ne cessent de décliner au Québec, et ce, principalement à cause des dommages causés à l’habitat de cette espèce par les compagnies forestières.
Le gouvernement du Québec prépare une stratégie pour donner un coup de pouce au caribou forestier, mais cette démarche ne semble pas réconforter outre mesure le fédéral. De ce fait, ce dernier palier gouvernemental a fait savoir à Québec qu’il était prêt à imposer un décret pour forcer la protection du caribou si la stratégie qu’il retient n’est pas jugée satisfaisante, stratégie qui sera déposée en juin 2023.
C’est le ministre de l’Environnement du Canada, Steven Guilbeault, qui a informé son homologue québécois, le ministre Benoît Charette de la situation.
« La quasi-totalité de l’habitat essentiel du caribou [forestier, appelé caribou boréal par Ottawa] au Québec n’est pas efficacement protégée. Je suis maintenant tenu, conformément à la Loi, de recommander à la gouverneure en conseil la prise d’un décret de protection pour les parties non protégées de l’habitat essentiel du caribou boréal. »
Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement du Canada
Québec se défend en disant que sa stratégie de protection du caribou forestier sera prête dans les temps et qu’elle sera respectueuse aussi des droits autochtones.
Québec ajoute du même souffle qu’il s’agit là d’un dossier délicat puisque l’habitat de ce cervidé se trouve presque entièrement sur des terres publiques où agissent les compagnies forestières.
« Nous n’avons pas changé de position : la protection et le rétablissement du caribou forestier et montagnard, c’est une compétence et une responsabilité du gouvernement du Québec.
On ne peut toutefois pas faire abstraction de l’importance de la foresterie dans les régions, d’où la nécessité de bien faire les choses avec les parties prenantes. »
Benoît Charette, ministre de l’Environnement du Québec
Un décret aurait des conséquences très importantes
S’il fallait qu’Ottawa décide de passer par-dessus le gouvernement du Québec en imposant un décret afin de protéger l’habitat du caribou forestier, les conséquences seraient très lourdes pour l’industrie forestière.
L’habitat du caribou forestier se retrouve à 37% à des latitudes où l’exploitation forestière a lieu. Si toute cette zone devait être protégée (seulement au nord du Saint-Laurent), on parlerait d’une diminution du volume de bois pouvant être récolté de 14 millions de mètres cubes par année. Cette quantité de bois représente 40 % des 35 millions de m3 de volume de bois pouvant être récolté annuellement au Québec. C’est énorme!
Ces chiffres demeurent toutefois hypothétiques. Ottawa n’a pas encore précisé quelle superficie exacte serait concernée par son décret, si décret il y a.
Colère du côté de l’industrie forestière
Comme on pouvait s’y attendre, la position fédérale dans ce dossier ne fait pas du tout l’affaire des compagnies forestières. Les porte-parole de l’industrie exigent que les impacts socio-économiques soient pris en compte dans ce dossier. Ou dit autrement: ils veulent bien sauver le caribou, mais pas au détriment des emplois.
Les porte-parole ne comprennent pas davantage l’empressement d’Ottawa d’agir dans ce dossier, alors que Québec a déjà annoncé qu’un plan provincial de rétablissement du caribou serait déposé en juin 2023.
« On a l’impression que ça relève davantage d’une démarche presque militante plus que d’une démarche qui est logique avec ce qui a été déjà convenu avec l’entente, qui balise un processus déjà en cours finalement. »
Steeve St-Gelais, président de l’entreprise Boisaco
Si vous voulez mon avis, ce n’est pas étonnant que le fédéral agisse de la sorte.
Au Québec, le ministère de l’Environnement est pratiquement une coquille vide. L’industrie forestière pèse ici très lourdement, a beaucoup d’influence. Il y a fort à parier que la montagne accouchera d’une souris en juin prochain. Si je le sais, le fédéral le sait aussi.
Il y a un plan de rétablissement du caribou forestier depuis 10 ans au Québec. Et on voit les résultats. On est en train de perdre les dernières hardes.
Le plan que Québec déposera en juin prochain risque très fortement d’être très mièvre et aucunement suffisant pour renverser la très lourde tendance et empêcher la disparition de cette espèce.
Alors Ottawa a pris ses précautions et a préparé un décret en conséquence. Comme c’est assez long à préparer un tel document, mieux valait que le fédéral se prenne d’avance.
J’écris cela et ça me fait mal aux doigts.
Je suis très fier d’être Québécois; je suis indépendantiste de surcroît. Mais je trouve tout de même scandaleux que notre ministère de l’Environnement soit davantage engagé en faveur des industries qu’en faveur de la protection des espèces.
J’espère qu’on changera ça, un jour. Et que le Québec se dotera enfin d’un ministère de l’Environnement digne de ce nom. D’ici là, hé bien, c’est Ottawa qui agit à notre place.
C’en est franchement gênant
Source : La Presse