Le premier ministre François Legault l’a bien dit lors de son discours d’ouverture, discours prononcé il y a quelques mois de cela maintenant. L’homme politique songe à lancer la construction de nouveaux barrages hydroélectriques au Québec, et ce, afin de suffire à la demande en énergie qui ne cesse d’augmenter et pour aussi atteindre un supposé statut d’État carboneutre pour le Québec.
Pour ce faire, le gouvernement caquiste vise la construction d’un barrage hydroélectrique sur la rivière Petit Mécatina, près de Tête-à-la-Baleine, en Basse-Côte-Nord. Je vous le dis tout de suite, c’est une mauvaise idée. Le Québec a déjà bien suffisamment construit de barrages dans son histoire, détruisant de ce fait de nombreuses grandes rivières sauvages. C’est assez!
Mais la Coalition avenir Québec ne pense pas ainsi. C’est pourquoi le très très très douteux personnage qu’est le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon a annoncé ces dernières heures qu’Hydro-Québec lançait la phase d’études pour le projet Petit Mécatina.
« Ce sont des études approfondies qu’ils vont faire, Hydro-Québec. Il est trop tôt pour conclure, mais ils ont considéré que c’est un ouvrage qui pourrait faire du sens. »
Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Énergie (Journal de Québec, 4 avril 2023)
Il y a une dizaine d’années, l’ancien premier ministre Jacques Parizeau – qui est un homme pas mal plus brillant que François Legault et Pierre Fitzgibbon réunis- s’était insurgé publiquement contre le projet de méga-barrages sur la rivière Romaine, sur la Côte-Nord.
« Les coûts sont très élevés et il y aurait certainement moyen de faire d’autres choix, notamment dans l’éolien et le solaire. »
Jacques Parizeau (TVA, 2011)
M. Parizeau avait bien raison eu égard à ce dossier. D’autant que l’électricité produite par les centrales de la Romaine était vendue à perte aux Américains…Un vrai bon plan, quoi!
L’ancien coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, Normand Mousseau, le confirmait toujours en 2017. Les centrales de La Romaine ne seront pas rentables pour les Québécois disait-il.
« On s’appauvrit collectivement avec un tel projet. Nous allons devoir payer ce projet, que ce soit comme consommateur ou comme contribuable. »
Normand Mousseau (Le Devoir, 20 0ctobre 2017)
À cette époque, la production d’un kilowatt/heure à La romaine coûtait 6,4 ¢. Hydro-Québec parvenait de peine et de misère à le vendre à un prix moyen de 4,6 ¢ le kilowattheure sur les marchés. On avait détruit une belle et grande rivière pour ça!
Alors qu’il était premier ministre (1994-1995), M. Parizeau avait demandé aux hauts-fonctionnaires oeuvrant dans le domaine de l’énergie si c’était plus rentable d’économiser de l’énergie ou d’en produire de la nouvelle. Il n’a jamais obtenu la réponse! C’est dire si le Québec porte des oeillères quand il est question d’énergie. On ne pense qu’en termes de barrages, stratégie qui n’est plus appropriée dans ce monde post COP XYZ.
Quand j’avais su que le Québec s’apprêtait à détruire une aussi belle rivière, je n’avais fait ni une ni deux et j’avais accroché mon kayak sur le toit de ma voiture. Direction: La Romaine. Durant quelques jours, j’avais sillonné ce magnifique endroit à bord de mon kayak. On dormait sur les îles Mingan. On a pleinement profité des derniers moments de cet écosystème unique. Il ne faudrait pas que ça se reproduise avec Petit Mécatina. Les dernières rivières sauvages du Québec sont des trésors qu’il faut préserver et non pas harnacher.

Photos prises il y a plus de 10 ans, lors de mon voyage en kayak à La Romaine.




Si vous n’avez pas vu le film Chercher le courant, il faut remédier à cela immédiatement. C’est un plaidoyer puissant en faveur de la protection des rivières du Québec. C’est un film qui a été réalisé par des défenseurs de la magnifique Romaine, combat qu’ils ont malheureusement perdu.
Et je suis tellement fin que je vous mets un lien juste ici, dans ce texte. Oui, oui, vous pouvez me dire merci 😉
On pourra me rétorquer qu’à l’avenir, l’énergie produite par ces barrages pourrait être rentable. Que peut-être la rivière Petit Mécatina donnera naissance à un bon projet financièrement parlant. Mais même si les prix augmentaient, je persiste à dire que ce serait une mauvaise idée de scrapper Petit Mécatina. Pourquoi? Parce qu’il est complètement faux de dire qu’un barrage hydro-électrique, c’est un projet vert.
En quoi c’est un problème d’harnacher une rivière?
La construction d’un grand barrage a pour effet d’ennoyer de vastes territoires. Sur la Côte-Nord, ça signifie de détruire des milliers de kilomètres carrés de forêt boréale. Les animaux qui s’y trouvent sont noyés. Les arbres se retrouvent au fond du bassin et polluent l’eau. En se décomposant, ils font en sorte que le bassin devient émetteur de gaz à effet de serre. Et le mercure qui est naturellement contenu dans les sols se retrouve dans l’eau et pollue la zone.
Yves Prairie est chercheur et professeur à l’UQAM. C’est un spécialiste des émissions de gaz à effets de serre inhérentes aux systèmes aquatiques. Il confirme que les bassins contribuent à l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre : «On sait depuis plusieurs années que lorsqu’on ennoie un territoire pour créer un réservoir, il y a une augmentation notable des GES pendant un certain temps. La matière organique des sols ennoyés va être décomposée et dégager des gaz qui vont atteindre l’atmosphère. » (Le Manic, 1er mars 2023)
La Fondation Rivières est l’organisme qui s’est donné pour mission de défendre les cours d’eau du Québec. Il y a quelques années, la directrice de l’organisme confirmait les impacts négatifs des grands barrages sur l’environnement, ce qui explique pourquoi les Américains n’ont jamais accepté de considérer l’énergie produite ainsi comme étant responsable écologiquement.
« On l’oublie facilement, mais l’hydroélectricité se fait au prix de nombreux impacts sur l’environnement. Que l’on pense à l’assèchement des rivières, à l’inondation des forêts, à la création de méthyle-mercure, etc. »
Anne-Marie Saint-Cerny, directrice de la Fondation Rivières en 2009
Il faut aussi souligner que les bassins détruisent les habitats d’espèces menacées comme le caribou forestier. Les routes construites pour relier les centrales et les corridors implantés dans le paysage afin de construire des pylônes transportant l’énergie vers les grands centres sont autant de dérangements pour ces mêmes espèces sensibles.

©Wikipedia
Comme si ce n’était suffisant, les experts ne parviennent toujours pas aujourd’hui à bien mesurer les impacts de ces grandes constructions sur la santé de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent. On sait par contre que les barrages ont considérablement nui à des espèces migratrices comme le saumon Atlantique ou l’anguille d’Amérique.
Au bout du compte, les impacts environnementaux des barrages sont très importants et dévastateurs à bien des égards.
Conclusion
Le Québec a déjà harnaché pratiquement toutes ses rivières. Il est temps d’arrêter. La rivière Petit Mécatina, la Magpie ou la rivière de la baleine doivent être préservées. Pour toutes les raisons énumérées ci-haut. Et aussi parce que ce monde a bien besoin de beauté.
Il est plus que temps d’entrevoir notre avenir énergétique autrement. Il faut considérer d’autres sources. Et surtout, envisager sérieusement le remplacement de la production d’énergie nouvelle par l’économie de l’énergie déjà produite. C’est le gros bon sens qui le veut.
Si on ne le fait pas et qu’on écoute François Legault, on scrappera encore deux ou trois rivières sauvages du Québec, les dernières qui peuvent encore accueillir des projets de barrage. Et après, on fera quoi ? La consommation d’énergie continuera d’augmenter puisqu’on n’aura pas accepté de changer notre stratégie à cet égard. Qu’est-ce qu’on fera pour produire plus d’énergie? Inventer des rivières qui n’existent pas? Harnacher des ruisseaux?
C’est clair, l’heure est venue de mettre de côté ces projets de barrages qui sont dignes de l’époque des dinosaures, d’être enfin sérieux dans notre relation à l’énergie. Et cela passe par un changement complet de paradigme.
Martine Ouellet , PDG d’Hydro-Québec se serait formidable.