Depuis que les populations de poissons de fond se sont effondrées dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent, et ce, à cause de la surpêche qui les visa des décennies durant, nombreux sont ceux qui pointent aujourd’hui du doigt les phoques, prétextant qu’ils sont responsables du non-rétablissement de la morue, notamment.

Quand on pense au fait que le phoque du Groenland se compte à coup de 7,1 millions dans l’Atlantique Nord-Ouest de nos jours, on pourrait penser qu’un tel discours se tient. Mais il faut savoir qu’il n’est pas responsable du déclin des populations de morues. Le phoque gris ou le phoque commun, pas davantage.
J’écoute depuis quelques années maintenant le message articulé par les porte-parole de la Fourchette bleue. Il s’agit d’une bannière qui plaide en faveur du prélèvement d’espèces marines de manière éco-responsable. Si à la base, on ne peut être contre cette idée, il n’en demeure pas moins que ces gens défendent trop souvent l’indéfendable, au nom de principes économiques qui ne tiennent plus la route dans un monde où les écosystèmes se maintiennent de peine et de misère. Quand ils ne s’effondrent pas carrément.
Sandra Gauthier est directrice la Fourchette bleue. C’est une militante qui plaide en faveur de la chasse au phoque depuis de nombreuses années. Elle semble prendre pour acquis que plus on tue de phoques, et mieux c’est pour l’écosystème.
Dernièrement, elle s’est rendue à Ottawa afin de plaider en faveur de l’élargissement de la chasse au phoque dans le golfe.
« Il y a beaucoup de chasse commerciale aux Îles-de-la-Madeleine et sur la Côte-Nord, mais il y en a très peu en Gaspésie selon les informations que je possède. Ce qu’il faut faire, c’est s’assurer que les chasseurs qui vont revenir à quai avec leurs carcasses de phoques puissent les vendre à une usine qui va en faire la transformation efficacement et de façon légale. »
Sandra Gauthier, directrice de la Fourchette bleue (Radio-Canada)
Elle souhaite que plus de permis de chasse au phoque soient vendus au Québec. Actuellement, il n’y a que les résidents du Québec maritime qui peuvent acheter un tel permis. Mais Mme Gauthier voudrait que n’importe lequel Québécois puisse le faire, et que cela fasse partie d’une stratégie touristique.
« Économiquement, ça vaudrait la peine pour les gens de la Côte-Nord, de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine de pouvoir bénéficier du phoque et d’en faire un produit d’appel touristique. »
Sandra Gauthier (Radio-Canada)
Cette dernière, qui est aussi directrice du Musée Exploramer de Sainte-Anne-des-Monts, croit qu’il y a un véritable engouement pour la chasse au phoque actuellement. Et que des bannières telles que Métro voudraient même en offrir les produits sur les étals de leurs bouchers.
« Depuis cinq ans, Exploramer offre une formation de deux jours tous les ans pour enseigner des notions de biologie, de législation, de dépeçage, de tannage, de charcuterie, de boucherie et de cuisine aux chasseurs. Il y a absolument un engouement pour les activités liées aux phoques. »
Sandra Gauthier (Radio-Canada)
Une fausse bonne idée
D’une première écoute, ce discours peut sembler plein de bon sens. C’est quand on s’attarde à la réelle situation du phoque du Groenland, du phoque gris ou du phoque commun qu’on se rend compte de sa fragilité.
D’une part, et comme j’explique à mes clients l’été lorsqu’on croise la route d’un superbe phoque commun, ce dernier ne s’est jamais rétabli des primes offertes par le fédéral pour son abattage des décennies durant. On ne compte que quelque 25 000 individus dans tout l’Est de l’Atlantique. Ce n’est pas ce phoque qui peut faire chuter une population de poissons, quelle qu’elle soit. Et de toute façon, aucune chasse n’est dirigée contre cette espèce vulnérable. Et il faut que cela demeure comme ça.
Aux Îles-de-la-Madeleine, on pointe beaucoup du doigt le phoque gris. C’est la plus grosse espèce de pinnipède de nos eaux. On en compte environ 45 000 dans le golfe du Saint-Laurent. Il y a aussi des populations dans l’estuaire. C’est d’ailleurs ce phoque que je croise le plus régulièrement lors de mes sorties en mer, l’été.
Il faut bien noter que cette espèce n’est pas en explosion démographique contrairement à ce que certains avancent. Et 45 000 phoques, ce n’est pas non plus suffisant pour abattre une population de poissons comme le prétendent à tort certains autres. La chasse de cette espèce à une échelle plus importante qu’actuellement pourrait la déstabiliser.
Et le phoque du Groenland, lui?
Dernièrement, l’écologiste Jacques Gélineau est sorti publiquement pour prendre la défense du phoque du Groenland. C’est cette espèce qui était visée par les chasseurs de blanchons, activités qui a été interdite après que Brigitte Bardot et Paul McCarthney aient tourné les projecteurs du monde sur son sort.
Jacques Gélineau explique que ce phoque n’est absolument pas responsable du déclin des poissons dans le golfe du Saint-Laurent, golfe qu’il ne fréquente qu’une courte partie de l’année. Le reste du temps, il se retrouve bien davantage au nord.
Il ajoute que le phoque du Groenland est très vulnérable aux bouleversements climatiques. Ce phoque a besoin d’un important couvert glacier pour mettre bas, couvert glacier qui disparait comme peau de chagrin. Cette situation a pour conséquence de provoquer beaucoup plus de mortalités dans les populations de phoques du Groenland ces dernières années que ce n’était le cas auparavant
« D’habitude, on parle d’un couvert de glace d’à peu près 60%. L’année passée, c’était 10 % et cette année, j’ai l’impression que ça va être 0% ! Et cette situation-là va durer. »
Jacques Gélineau (Le Nord-Côtier)
En fait, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, le phoque favoriserait le retour de la morue. Ce grand prédateur s’est rabattu sur les populations de poisson-fourrage ces dernières années afin de s’alimenter. Or, ces poissons consomment les larves de morues qui dérivent dans la colonne d’eau. Grâce aux phoques, plus de morues juvéniles peuvent donc survivre.
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Dans le monde déstabilité dans lequel nous vivons, il faut agir avec beaucoup de prudence avant d’organiser l’abattage d’une espèce ou d’une autre. Surtout lorsqu’il s’agit d’un prédateur se retrouvant aux plus hauts échelons de la chaîne alimentaire. Permettre la chasse du phoque à grande échelle pourrait provoquer beaucoup plus de maux que de bienfaits. Il faut vraiment agir avec parcimonie dans ce dossier.
De toute façon, la nature a toujours été en mesure de s’équilibrer d’elle même. Pas besoin de la chasse pour le faire. Lorsqu’il y a des déséquilibres sur du long terme, c’est 99% du temps à cause d’une action humaine. Dans le golfe Saint-Laurent, les prédateurs des phoques effectuent actuellement leur retour. Il y a plus de requins blancs qui y sont présents que par le passé. Et ils visent surtout les phoques gris des environs des Îles-de-la-Madeleine.
En terminant, et avant de me lancer des pierres en soulignant que je n’ai pas la formation pour avancer tout ça, je tiens à préciser que les biologistes du ministère de Pêche et Océans ont confirmé les dires de Jacques Gélineau : « La prédation exercée par le phoque du Groenland n’a pas été un facteur important dans l’absence de rétablissement de la morue. (MPO) ».
Source : Radio-Canada et Le Nord-Côtier