Sur la Côte-Nord et en Gaspésie, les gens ont coutume de dire que lorsque le capelan fraie sur les plages, c’est le temps de réaliser des pêches miraculeuses. Et pour cause! Ce petit poisson est si abondant chez nous qu’il s’agit alors de plonger une simple épuisette dans l’eau pour capturer ce poisson-fourrage à coups de dizaines et de dizaines.
Le capelan (Mallotus villosus) est un petit poisson argenté de la famille des osmeridés, et il est souvent associé à des bancs massifs qui se déplacent le long des côtes.
Il y a quelques années, je m’étais rendu dans le coin de Port-Cartier afin de filmer la reproduction spectaculaire de cette espèce.
Mais comme pour bien d’autres espèces, le monde change pour le capelan. Et dans le Saint-Laurent, il ne change pas vraiment pour le mieux. Résultat: le capelan n’a pratiquement pas frayé dans les eaux de l’estuaire du Saint-Laurent, l’été dernier; ce qui constitue une véritable catastrophe écologique.
Le capelan est tellement important pour l’écosystème Saint-Laurent que les chercheurs recensent, année après année, les sites où il fraie. 2018 avait été une bonne année pour le capelan dans les eaux de l’estuaire, comme le démontre cette carte.

Les points orange constituent tous des sites où le capelan a officiellement frayé cette année-là.
Si on regarde la carte des observations de la fraie du capelan pour 2023, on se rend rapidement compte qu’on est complètement ailleurs. Et que cela est inquiétant.

Le printemps et l’été derniers, le capelan n’a frayé officiellement qu’à un seul endroit. Les points gris ont été placés sur la carte à des endroits où des gens disent avoir vu des capelans la saison dernière, mais sans que l’information n’eut pu être validée d’une façon quelconque. En analysant cette carte, on se rend rapidement compte que le capelan n’était tout simplement pas présent dans nos eaux cette année.
Et ceci est grave car la fraie du capelan est un événement important dans notre écosystème marin. Elle fournit une source de nourriture abondante pour de nombreux prédateurs, y compris les oiseaux marins, les poissons plus gros et d’autres espèces marines.

Elle joue également un rôle dans le cycle de vie du capelan en assurant la reproduction et la survie de la prochaine génération. Ce phénomène naturel attire aussi l’attention des pêcheurs et des observateurs de la nature qui peuvent assister à ces migrations massives de poissons.
La fraie du capelan est censée se produire dans le Saint-Laurent à chaque année, même si des fluctuations sont bien sûr notables. Ce n’est par contre pas normal de sauter complètement une saison. La reproduction du capelan est généralement observée au printemps, habituellement entre avril et juin. Pendant cette période, les capelans quittent les eaux plus profondes de l’océan Atlantique pour remonter le long des côtes, ou près des rivières et dans les estuaires, y compris le fleuve Saint-Laurent, et ce, afin de pondre leurs œufs.
Les femelles les libèrent dans l’eau, et les mâles dispersent leur sperme pour les féconder. Ces œufs adhèrent souvent aux fonds marins et aux structures sous-marines, et le développement des larves peut alors commencer. Après l’éclosion, les larves dérivent avec les courants vers des zones plus profondes.
Alors que s’est-il passé cette année? Pourquoi le capelan n’est-il pas venu frayer en nos eaux?
Il est probablement encore trop tôt pour le dire. Et je ne suis probablement pas la meilleure personne pour l’expliquer, étant donné que je ne suis pas biologiste. N’en demeure pas moins que je puis souligner que l’eau était vraiment trop chaude cette année dans l’estuaire du Saint-Laurent pour que cela soit normal, ce qui a très certainement affecté cette espèce. Les biologistes à qui j’ai d’ailleurs parlé ont avancé la possibilité que le capelan, aimant les eaux froides, ait préféré frayer sur les côtes du Labrador cette année, là où les conditions lui étaient plus favorables.
Reste à espérer que l’année 2023 demeurera une exception et que le capelan reviendra en force en nos eaux l’an prochain. Car si tel n’était pas le cas, les impacts seraient dévastateurs sur l’estuaire du Saint-Laurent, écosystème tout aussi riche que fragile.
Vos textes, sur la vie marine, sont intéressants. J’en apprends toujours un peu plus.
Merci, c’est très gentil!